14/11/2011

La belle histoire des Sœurs grises

Trois siècles avant les Filles de la charité, les sœurs grises franciscaines ont consacré leur vie au service des pauvres et des malades, en Belgique et dans le Nord de la France.


L’aventure des Sœurs Grises, c’est une page glorieuse mais trop méconnue de l’histoire du mouvement franciscain. Elle débute au milieu du XIVe siècle et concerne le Nord de la France et la Belgique actuelle.
À cette époque, de nombreux laïcs commencent à savoir lire et développent une vie spirituelle davantage intériorisée. Les femmes participent pleinement à cette évolution et les plus ferventes s’engagent dans de nouvelles formes de vie religieuse: c’est le phénomène bien connu des “béguinages”. D’autres rejoignent les groupes de pénitents situés dans la mouvance des frères mineurs de l’Observance. Progressivement, elles vont adopter la Règle du Tiers-Ordre franciscain, vivre en communauté, émettre les trois vœux et se consacrer au service des malades.
Les premières communautés de ce type apparaissent à Saint-Omer vers 1350 et se répandent très rapidement dans toute la Flandre, mais aussi en Artois et Picardie, puis en Normandie, Lorraine et Ile-de-France. Au total, certainement plus d’une centaine de maisons au début du XVIe siècle, parmi lesquelles on peut citer Ypres, Louvain, Lille, Bruges, Amiens, Rue, Bernay, Neufchâtel-en-Bray, Melun, Ormes ou encore Nancy.
Il ne s’agit pas d’un mouvement centralisé, mais plutôt d’une efflorescence d’initiatives très diverses répondant aux besoins des populations. Si on les appelle communément et globalement “Sœurs Grises”, à cause de la couleur de leur habit, certaines portent le nom de “Sœurs de la Celle”, parce qu’elles soignent des malades contagieux et donc isolés en chambres (celles) individuelles; d’autres sont dénommées “Sœurs de la Faille”, “Sœurs Noires”, Sœurs de sainte Catherine ou encore Sœurs Hospitalières.

“Les Sœurettes” sont vivement appréciéesLeurs activités sont aussi fort variées: prises en charge d’hôpitaux, soins à domicile, participation aux convois funéraires, accueil des mendiants et pèlerins. Les unes vivent de leur travail, les autres quêtent leur subsistance. Le plus souvent, ce sont les responsables locaux qui font appel à ces religieuses. En 1457, les échevins de Montreuil-sur-Mer s’adressent aux “Noires Sœurettes de saint François”, demeurant rue de Lombardie à Saint-Omer, “pour icelles sœurettes vivre en icelle ville de Montreuil en estat de mendicité, en tenant vie de religion et les trois vœux, pour visiter, conforter, servir et admonester du salut de l’âme les personnes malades en icelle ville, tant les pauvres comme les riches.” Tous les témoignages vont dans le même sens, les “sœurettes” sont vivement appréciées des populations.
Tout irait donc pour le mieux, s’il n’y avait pas ces “ultras” de la réforme, genre Olivier Maillard et compagnie. Ces frères “zélés” considèrent qu’une bonne religieuse est une religieuse cloîtrée. Or, nos sœurs grises tiennent fermement à leur statut de religieuses, mais pour remplir leur mission, elles doivent pouvoir sortir de leur couvent. Dès la fin du XVe siècle, les Frères Mineurs ne vont avoir de cesse de cloîtrer les sœurs grises, au prix même du sacrifice de leur vocation. Pour mieux arriver à leurs fins, les Frères font passer certaines de ces hospitalières dans d’autres ordres religieux de la famille franciscaine : nombreux sont les monastères d’Annonciades (Boulogne-sur-Mer), de Clarisses (Lille) et de Conceptionnistes (Aire-sur-la-Lys) qui sont en réalité d’anciens couvents de sœurs grises.

Cette belle histoire a laissé des traces
On pourrait croire la belle histoire terminée, mais ce serait compter sans la Providence. Nos sœurs grises (la plupart cloîtrées) sont encore nombreuses à la fin du XVIIIe siècle. Elles vivent de leurs rentes et tiennent parfois un pensionnat. Après la Révolution, certaines communautés vont renaître et retrouver leur vocation hospitalière. En 1854, sept de ces communautés s’unissent sous le nom de “Franciscaines de Calais”, et futures “Franciscaines missionnaires de Notre-Dame”, une congrégation aujourd’hui répandue dans le monde entier. Et de nouveau elles font merveille: en 1866, le préfet du Pas-de-Calais leur rend officiellement hommage pour leur action pendant l’épidémie de choléra.
Cette belle histoire a naturellement laissé des traces dans le patrimoine. Les chapelles des Sœurs Grises de Rue (début XVIe siècle) et de Saint-Pol-sur-Ternoise (XVIIe, aujourd’hui musée municipal) méritent le détour. Le couvent de Tourcoing (rue d’Havré), pratiquement intact, est en cours de restauration ; il rouvrira l’année prochaine [2004] , à l’occasion de l’opération “Lille, capitale européenne de la culture”.
Plusieurs villes belges conservent également des vestiges d’établissements de Sœurs Grises. À Wisebecq, un faubourg de Brugelette (Hainaut), les anciens bâtiments du couvent abritent aujourd’hui l’institution Sainte-Gertrude, au service des handicapés. Un lieu émouvant, non seulement parce que les pauvres continuent d’y être servis, mais parce que c’est ici qu’en 1483 les déléguées d’une vingtaine de maisons ont élaboré de remarquables statuts – la preuve que ces femmes franciscaines savaient se prendre en charge.